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De retour de l'enterrement, Bosch ôta sa cravate et prit une bière dans le frigo. Puis il passa sur la terrasse, s'assit dans la chaise longue et ferma les yeux. Il avait envie de mettre de la musique, un peu d'Art Pepper pour sortir de son cafard.
Mais il se retrouva incapable de bouger. Il continua de fermer les yeux et tenta d'oublier tout ce qu'il pouvait de ce qu'il avait vécu ces deux dernières semaines. Il savait bien que ce serait impossible, mais ça valait le coup d'essayer et la bière aiderait un peu, même de manière seulement temporaire. C'était la dernière qu'il avait au frigo et il s'était juré que ce serait aussi la dernière pour lui. Il avait une fille à élever et il allait devoir être aussi bon que possible dans ce rôle.
Comme si ces pensées l'avaient fait venir, il entendit la porte coulissante qui s'ouvrait.
- Bonjour, Mads, dit-il.
- Papa.
Un seul mot, mais le ton était différent, troublé. Il rouvrit les yeux et plissa les paupières dans la lumière de l'après-midi. Elle avait enlevé sa robe d'écolière et enfilé le blue-jean et une chemise sortis du sac que lui avait préparé sa mère. Bosch avait déjà remarqué qu'elle portait beaucoup plus les quelques vêtements que sa mère avait glissés dans son sac à dos à Hong Kong que tous ceux qu'ils avaient achetés ensemble.
- Quoi de neuf ?
- Je voudrais te parler.
- D'accord.
- Je suis vraiment désolée pour ton coéquipier.
- Moi aussi. Il a fait une grosse erreur et il a payé. Mais je ne sais pas... je n'ai pas l'impression que la punition corresponde à la faute, tu sais ?
Bosch revit l'horrible scène qu'il avait découverte dans le bureau du directeur de Fortune Fine Foods & Liquor. Ferras face contre terre, abattu de quatre balles dans le dos. Robert Li tassé dans un coin à gémir et trembler en regardant le cadavre de sa sœur près de la porte. Après avoir tué Ferras, Mia avait retourné son arme contre elle. Mme Li, la matriarche de cette famille d'assassins et de victimes, se tenait stoïquement sur le seuil lorsque Bosch était arrivé.
Ignacio n'avait pas vu venir Mia. Elle avait déposé sa mère au magasin, puis elle était repartie en voiture. Mais quelque chose l'ayant fait retourner sur ses pas, elle s'était glissée dans la ruelle et garée dans le parking de derrière. Un peu plus tard dans la salle des inspecteurs, il avait été avancé qu'elle avait repéré Ferras et compris que la police était sur le point de débarquer. Elle était passée chez elle, s'était emparée de l'arme que son père assassiné rangeait sous le comptoir de son magasin et avait regagné la boutique de la Valley. Ce qu'elle avait en tête n'était pas clair et resterait à jamais un mystère. Il n'était pas impossible qu'elle ait cherché Lam ou sa mère. Voire qu'elle ait attendu la police. Toujours est-il qu'elle était revenue au magasin et y avait pénétré par la porte de derrière - celle réservée aux employés - au moment même ou presque où Ferras, lui, entrait par celle de devant pour essayer d'arrêter Robert sans aucune aide. Elle l'avait regardé entrer dans le bureau de son frère et était arrivée dans son dos.
Bosch se demanda quelles pensées avait bien pu avoir Ignacio tandis que les balles lui criblaient le corps. Il se demanda si son jeune coéquipier s'était étonné que la foudre puisse frapper à deux reprises - et finir le travail la deuxième fois.
Bosch écarta cette vision et ces réflexions, se releva et regarda sa fille. Et vit la douleur dans ses yeux et sut ce qui allait arriver.
- Papa ?
- Qu'est-ce qu'il y a, mon ange ?
- Moi aussi, j'ai fait une grosse erreur. Sauf que ce n'est pas moi qui ai payé.
- Que veux-tu dire ?
- Quand j'ai parlé avec le Dr Hinojos, elle m'a dit que je devais me libérer. Que je devais dire ce qui me pesait sur le cœur.
Des larmes commencèrent à couler sur ses joues. Bosch s'assit en biais sur la chaise longue, guida sa fille jusqu'à un siège à côté de lui et lui passa un bras autour des épaules.
- Tu peux tout me dire, tu sais, fit-il.
Elle ferma les yeux, posa une main dessus et serra celle de son père de l'autre.
- C'est à cause de moi que maman s'est fait tuer, dit-elle. Elle s'est fait tuer à cause de moi et c'est moi qui aurais dû mourir.
-Minute, minute, Madeline. Tu n'es pas responsa...
- Non, attends, écoute-moi. Écoute-moi. Si, je suis responsable. C'est à cause de moi, papa, et il faut que j'aille en prison.
Bosch la serra fort dans ses bras et l'embrassa sur le haut du crâne.
- Bon, dit-il, maintenant, c'est toi qui m'écoutes, Mads. Il n'est pas question d'aller en prison ou ailleurs. Tu restes ici avec moi. Je sais ce qui s'est passé, mais ça ne te rend pas responsable de ce qu'ont fait les autres. Je ne veux pas que tu le penses.
Elle s'écarta et le regarda.
- Parce que... tu sais ? Tu sais ce que j'ai fait ?
- Je crois que tu as fait confiance à la mauvaise personne... et le reste... tout le reste, c'est la faute de ce type. Elle hocha la tête.
- Non, non. Tout ça, c'était mon idée. Je savais que tu viendrais et je me disais que tu arriverais peut-être à ce que maman me laisse partir avec toi.
- Je sais.
- Comment le sais-tu ? Il haussa les épaules.
- Peu importe. L'important, c'est que tu ne pouvais pas savoir ce que ferait Quick. Tu ne pouvais pas savoir qu'il te piquerait ton plan et le ferait sien.
Elle baissa la tête.
- Peu importe. J'ai tué ma mère.
- Non, Madeline, non. Si quelqu'un est responsable de quoi que ce soit là-dedans, c'est moi. Elle s'est fait tuer à cause de quelque chose qui n'a rien à voir avec toi. A cause d'un vol qui s'est produit parce que j'ai été idiot... parce que j'ai montré mon argent dans un endroit où je n'aurais jamais dû le faire. D'accord ? Tout ça, c'est de ma faute, pas de la tienne. L'erreur, c'est moi qui l'ai commise.
Mais pas moyen de la calmer ou de la consoler. Elle secouait si violemment la tête que Bosch en eut les larmes aux yeux.
- Tu ne serais même pas venu si je ne t'avais pas envoyé la vidéo, reprit-elle. Et c'est ce que j'ai fait. Je savais ce que ça donnerait ! Je savais que tu sauterais dans le premier avion ! J'allais m'échapper avant que tu atterrisses. Et toi, tu arriverais, tout rentrerait dans l'ordre, et tu dirais à maman que Hong Kong n'est pas une ville sûre pour moi, et tu me ramènerais ici avec toi.
Bosch se contenta de hocher la tête. C'était à peu près le scénario auquel il était lui-même arrivé quelques jours auparavant, lorsqu'il avait compris que Bo-jing Chang n'était pour rien dans le meurtre de John Li.
- Mais maintenant maman est morte ! Et ils sont morts ! Et tout le monde est mort et c'est tout de ma faute !
Bosch l'attrapa par les épaules et la tourna vers lui.
- Qu'as-tu dit de tout ça au Dr Hinojos ?
- Rien.
- Parfait.
- Je voulais t'en parler d'abord. Et maintenant il faut que tu me conduises en prison.
Bosch la serra encore contre lui et lui mit la tête contre son épaule.
- Non, ma fille, tu restes ici. Avec moi.
Il lui caressa doucement les cheveux et reprit calmement :
- Des erreurs, nous en commettons tous. Tout le monde en fait. Des fois, comme mon coéquipier, on en fait une et on ne peut pas la rattraper. On n'en a pas la possibilité. Mais d'autres fois on l'a. Et nos erreurs à nous, nous allons pouvoir essayer de les rattraper. Tous les deux.
Les larmes de sa fille s'étaient calmées. Bosch l'entendit renifler et se dit que c'était peut-être pour ça qu'elle était venue le voir. Pour trouver une issue.
- On pourra peut-être faire du bien et essayer de se rattraper pour tout ce qu'on a fait. On le fera, ma fille.
- Comment ? lui demanda-t-elle d'une petite voix.
- Je te montrerai, Maddie. Je te montrerai et tu verras que nous pourrons nous rattraper pour tout cela, dit-il en s'approuvant d'un signe de tête.
Et il serra fort sa fille contre lui et espéra ne jamais avoir à la laisser partir de nouveau.
Remerciements
Ce livre n'aurait pas pu être écrit sans l'aide de Steven Vascik et Dennis Wojciechowski. Steve m'a montré tout ce dont j'avais besoin à Hong Kong et Wojo tout ce dont j'avais besoin sur le Net. Je leur en serai toujours reconnaissant.
D'une très grande aide m'ont aussi été Asya Muchnick, Bill Massey, Michael Pietsch, Shannon Byrne, Jane Davis, Siu Wai Mai, Pamela Marshall, Rick Jackson, Tim Marcia, Michael Krikorian, Terrill Lee Lankford, Daniel Daly, Roger Mills, Philip Spitzer, John Houghton et Linda Connelly. Un grand merci à vous tous.
Mes remerciements tout particuliers à William J. Bratton, chef de police du LAPD de 2002 à 2009, qui nous a ouvert tant de portes, à Harry Bosch et à moi-même.